Encore histoire de faire une mise à jour, je poste une nouvelle, écrite en janvier-février pour un concours proposé par la prof de grec... Je recommence à écrire, ça me fait du bien :)
Dites moi cke z'en pensez? C'est sensé être triste, mélancolique et poétique...
Les silences de l'aube
Arracher, détacher, déchirer, extirper loin de moi ce que j’ai dans le cœur, le ventre, ces larmes, ces lames qui me déchirent, les longs fils qui tirent mon âme et mon corps, qui étirent très loin ma douleur comme un long élastique attaché le long de mes membres. Ma force est si loin de moi, détachée comme une goutte d’huile à la surface de l’eau ; je ne peux pas résister et je flotte, voudrais plonger et me laisser submerger, mais je flotte, et la douleur et la peur sont comme des étaux qui se resserrent autour de mon corps, et serrent, serrent et m’étouffent, et j’ai mal. Elles s’enfoncent, dans mes os, ma gorge, coulent jusqu’à mon estomac dans leur goût de sang acide, fer liquide et brûlant, et je voudrais hurler. Mais la honte et la haine dans ma bouche font un chiffon étouffant, je ne peux rien dire. Et il y a mes oreilles, petits trous méchants qui me sifflent dans les organes leurs flèches de mots, et voici la nausée qui arrive, encore, comme un museau frais et nauséabond qui vient respirer mon air et fait pourrir de ses exhalaisons ce dont je m’entoure dans mes soliloques et mes rêveries pour chasser la peur : essais de tendresses, rondeurs. Alors la douceur devient acérée, la pâleur, sanguine ; tout s’emporte dans un tourbillon de sensations de méchanceté. Autour de moi, le gris cauchemar, coupant, brillant, lames et verre cassé, prêt à m’arracher, je n’en peux plus et c’est la peur qui s’envole dans ses nuées d’horreurs pour laisser l’effroi s’installer dans mes membres. Bientôt il va me sucer, m’aspirer, me vider de sa bouche de murène malveillante et m’insuffler son impassible débordement de tourments, sournois comme un sphinx. Son atrocité est une énigme pour moi ; d’où en sortir ? par où suis-je rentrée ? Je me débats comme une guêpe dans du miel. Je suis une guêpe, une guêpe qui se pique elle-même, un serpent qui se dévore la queue. J’ai mal à cause de moi, j’ai peur à cause de moi. Je m’enferme dans mes douleurs et mes souffrances et, roulée dans mon malheur, je n’en peux pas sortir.
« Il faut percer des fenêtres, tu m’as dit, ouvrir des portes. » Et tu as ouvert les bras et ton sourire vers le soleil, et moi, la nuque tournée vers le ciel et les bras vers le sol, j’ai entendu mes lèvres murmurer je ne sais quoi, comme une pâte informe et marron qui s’échappait de ma bouche.
Tu t’es tournée et tu as disparu. Adieu soleil et jours heureux. La lumière ne perce plus qu’à peine et dans mes rêves. Quand tu es partie, la brume a doucement enserré mon cœur lacéré de ton absence, l’a asséché. Il n’est plus qu’un noyau de datte. Il me fait pourtant si mal.
Car tu n’es plus là.
Absente et disparue, je partirai te chercher, par les chemins, et je ramènerai une brume calme de ton souvenir pour dessécher la boue autour de moi. Lorsqu’elle sera sèche et devenue sarcophage de terre, je me déferai de ma peine. Elle volera en éclats, et je serai seule encore mais baignée de douceur.
***
Ce fut par un froid matin de janvier, brouillard givrant et herbes givrées, qu’Angèle partit.
Elle ne prit pas la peine de s’habiller ; elle fourra simplement dans sa sacoche quelques affaires, des vêtements froissés roulés en boule, des photos. Elle hésita sur des babioles, haussa les épaules, et ayant enfilé chaussures et manteau s’en fut à la sauvette. Angèle s’en allait.
Dehors, le froid vif piqua ses joues ternes, les teinta de rose. Elle secoua ses pieds mouchetés de neige pour se réchauffer, lança doucement son sac sur son épaule. Le pyjama de coton ne lui tiendrait pas chaud, tant pis, pensa Angèle. Et cela valait peut-être aussi pour le reste, mais elle ne prit pas la peine d’y penser. Elle fit un peu de place dans sa tête douloureuse, que le froid et la lueur du matin apaisaient, remisa la pensée dans un coin pour plus tard, quand elle trouverait enfin le temps de regretter. Pour l’instant, pour l’instant, songea Angèle, la gare. Il lui faudrait un peu de temps pour y arriver, et avant d’y être, il y avait la campagne. Le ciel limpide et froid s’ouvrait au-dessus d’une plaine gelée, aux verts figés dans des camaïeux de gris, verts bleus doux, soulignés par ce ciel d’une clarté opalescente. Les coulis de gel sur les arbres scintillaient dans l’aube pâle. Le matin, vif, s’approchait sur la pointe des pieds. Le long de la route, le calme de la nuit et du jour naissant serait bientôt effacé : il s’enfuirait aux bruits des voitures.
En attendant le jour, Angèle savourait les derniers instants de calme. Elle aurait pu s’enfouir sous terre, geler là pour s’incorporer à la tranquillité ambiante. La respiration paisible de la nature et sa blancheur enneigée soufflaient un écho de souvenir passé. Les couleurs d’aquarelle délavée, les châteaux que faisaient les bosquets saupoudrés de neige imprimaient dans ses sens un calme qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps. Et le chemin ouvert, la route encore vierge de sillons de roues posaient un baume sur ses blessures. « C’est à présent à moi de les creuser, ces sillons », chanta dans sa tête Angèle. Peu à peu, se traçant un chemin à travers les noires pensées, la suie et l’embourbement, son chant de calme devint triomphe. Angèle se sentit presque heureuse.
Matin calme. Dans la neige, elle marcha, et la douleur n’était plus que fuyantes et lisses gouttes, dans son océan de plénitude.
***
« Et où qu’elle va la petite dame ? » demande le jeune homme au volant de son camion, le seul qui se soit arrêté. « Pareil que vous » chuchote dans le grondement du moteur la douce Angèle. « Allez vas-y monte, » dit d’une voix chaleureuse le camionneur. Elle grimpe, petit oiseau frêle, dans la grosse chose à roues.
Dans le camion, elle pose les mains sur ses cuisses, passe les paumes sur le pantalon élimé aux genoux. Elle s’est changée dans les toilettes du train qui a filé loin, l’a emportée. Et la voilà ici, à côté du chauffeur qui chantonne de sa grosse voix avec la radio qu’il a allumée. Il est assez jeune, les yeux ronds et humides, comme une vache, pense Angèle, les pommettes soulevées par un sourire jovial. Il a l’air gentil. Lui, observe du coin de l’œil la petite jeune fille blonde aux joues si pâles parsemées de minuscules taches de rousseur, engoncée dans son grand manteau, le cou enroulé d’une écharpe d’un noir qui rend son teint blafard. Petite, pense-t-il, silencieuse et terrée comme une souris.
« Ça ne te dérange pas si je mets la musique un peu plus fort, justement là c’est une chanson que j’aime » entonne-t-il de sa plus belle voix de stentor, mais c’est aussi parce qu’il veut entamer la conversation. Et à cet instant, elle crispe un peu plus ses petites mains fines sur l’angle de ses genoux, et elle articule d’une voix aiguë et tremblotante qu’elle n’aime pas cette musique. « C’est les Beatles pourtant, un classique », répond l’autre mais la voix d’Angèle devient encore plus perçante, déterminée, comme si elle venait de buter sur un rocher pointu, et elle crache presque, elle feule, petit chat acide : Non, non, non et non , d’ailleurs elle hait l’anglais et n’en comprend pas un mot. Ebahi par tant de détermination, l’homme grommelle un peu. Il s’étonne de la haine farouche qu’elle manifeste pour cette musique, et éteint la radio. Dans le silence gêné de leurs mots et le ronflement du moteur, il pense qu’il ne sait pas son nom, mais il abandonne.
Il prend la direction du Sud, et ose enfin prononcer : « Ce soir très tard, on sera arrivés. »
***
Je suis dans un ravin, et j’ai peur. Il me semble que je suis tombée longuement, et me voilà dans l’obscurité de ce trou de terre. Je ne sais pas très bien si je suis au beau milieu du ciel d’une nuit étoilée, ou entourée de ces roches aux éclats brillants, tantôt marbre lisse et tacheté d’or, tantôt coupant granit schisteux. Une longue échelle monte vers l’infini, posée sur la paroi; à côté de l’échelle, une pioche.
Je peux creuser, ou monter.
Un sentiment de puissance mêlé d’appréhension m’envahit, dans la confusion du rêve. J’aperçois une pâle lueur, au-dessus de moi. C’est toi, et ton odeur. Une onde de confiance coule dans mes yeux, puis la peur m’envahit à nouveau de toutes parts.
Une lumière aveuglante ouvre un trou dans mon sommeil.
***
Un long rideau de soie noire effleure le visage d’Angèle endormie. Dans son rêve, elle marmonne, puis brusquement, ouvre les yeux.
Au-dessus d’elle, un visage de lune ouvre des yeux clairs. De longs cheveux lisses couleur de corbeau caressent sa joue au rythme de sa respiration. Doucement, la jeune femme qui se tient près du lit se relève, et chuchote comme pour ne pas la brusquer : « Voilà, tu es réveillée. » Elle se dirige calmement vers une fenêtre, et soudain la lumière du jour se précipite dans une petite pièce blanche. Au pied du lit, il y a les affaires d’Angèle. Un peu paniquée, celle-ci tourne la tête dans tous les sens… « Où suis-je ? ». « Minute, sourit l’inconnue, je n’ai même pas eu le temps de t’expliquer. » Elle s’assied sur le lit et commence : « Mon Pierre t’a prise dans son camion, et puis tu t’es endormie. Une fois arrivé, on n’a pas osé te réveiller. Alors on t’a portée et on t’a mise là. »
Angèle n’est pas très rassurée mais le sourire doux et la sérénité qui émanent de la jeune femme lui inspirent confiance. Alors elle esquisse un sourire et ose murmurer : « moi, c’est Angèle. » L’autre lui rend son sourire, et ajoute simplement : « Alice. »
Angèle reste assise sur une chaise tandis qu’Alice s’affaire pour le déjeuner, « tu veux des céréales, du lait ? Nous avons de la confiture et aussi du beurre, demi-sel ou nature ? Du café ? Peut-être que tu préfères du jus, ah bon, du thé… d’accord, pas de sucre. » Angèle, les yeux dans le vague, un peu perdue, répond oui, non, merci. Des fossettes plein le visage, des sourires plein les yeux, Alice s’amuse de la gêne de son hôte, et, pour faire la conversation, entame : « Alors, il paraît que tu détestes les Beatles ? C’est la seule chose que tu as dite à mon Pierre. » A nouveau, les poings se crispent, les épaules se font dures, les yeux lancent des éclairs et Angèle d’une voix perçante jette qu’elle ne les aime pas, ça non !
Alice dit « Ah bon », pose une assiette remplie devant elle et ses fesses sur une chaise, met ses yeux dans ceux d’Angèle et demande doucement : « pourquoi donc ? »
D’indistincts balbutiements s’échappent de ses lèvres qui tremblent, Angèle secoue la tête, essaie de dire que ce n’est pour rien et que c’est comme ça. Mais ses yeux qui s’embuent le démentent. Elle tente de retenir ses larmes, garder ses lèvres droites et serrées. Mais rien n’y fait et deux petits sillons s’échappent le long de ses joues. Sans rien dire, Alice lui tend un mouchoir et prend sa main. Subrepticement, un visage revient alors à l’esprit d’Angèle.
***
Comme maman, elle est là et me tient la main, ne dit rien mais ça me rassure. Il n’y a pas ces mots qui calment une tempête ou un torrent de larmes, mais un silence comme un cocon doux. Pas le silence hostile des autres, non, celui qui apaise. Comme maman.
Dans les yeux de ma tête, « your mind’s eye » disait-elle, son visage roux se dessine, rond, et son sourire aux petites dents blanches.
Moi j’étais son petit lapin des livres de Beatrix Potter et elle mon écureuil.
Mais ça, il ne faut pas que j’y pense, sinon les larmes vont se faire rivières, torrents, fleuves et chacun sait que les fleuves se jettent dans un océan et je ne veux pas me noyer dans mes larmes, ni mourir dans son souvenir, pas comme elle qui m’a quittée, non.
Elle n’avait pas le droit.
Et je veux tout oublier d’elle, y compris sa langue.
***
Alice reste à côté d’Angèle qui pleure. Elle murmure quelques « allons, allons », qui ne veulent rien dire mais qui sont là pour rassurer. Une quinte de toux, puis deux puis trois la secouent. La petite lève les yeux vers Alice qui tousse.
« Ce n’est rien. » dit sans conviction Alice.
- Ce n’est pas rien. » répond Angèle. Alice hoche la tête.
- Je suis malade du ventre et des poumons, mais toi tu es malade d’autre part. »
Encore une fois, les lèvres d’Angèle se serrent. Elle pense qu’elle aussi voudrait tousser pour expulser sa peine, puis les mots se poussent à la sauvette et précipitamment sortent.
Alors tout se fait clair dans sa tête, et les larmes, bien ordonnées, lavent sa douleur.
***
Fais-toi toute petite ma peine, laisse-toi rincer par les torrents. Enfin, calme, je pourrai penser à elle.
Je pleure ma mère morte, de gouttes salées, désert de sel qui dessèchera mon mal. Et de la lumière de son souvenir, je tisserai un linceul pour l’envelopper. Ce linceul blanc ne sera plus boue et gravats, ni sang et douleur mais étoffe de beautés finies envoyées vers l’éternité.
Désormais ma peine sera mélancolie.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
1 commentaire:
Comment ça, y a personne qui n'a fait de commentaire ? Et bien moi, je trouve que tu as écrit un très très beau texte, qui a l'effet que tu escomptes :o)
Enregistrer un commentaire